mercredi 8 avril 2015

Chronique d'un barbecue ordinaire, 5 avril 2015

Se réjouir de passer le week-end de Pâques en compagnie de Fils Adoré.
Étudier les prévisions météorologiques.
Décider que la légère embellie annoncée pour les fêtes pascales suffira à nous permettre de nettoyer la terrasse. Espérer pouvoir allumer le premier barbecue de la saison.

Voir Compagnon Cuisinier revenir ce vendredi saint les bras chargé d’un vieux four électrique manifestement hors d’usage.
L’écouter nous expliquer comment il l'a trouvé sur le trottoir et l'a récupéré pour le transformer en un barbecue-four à bois. « Tu verras, j’ai tout prévu, laisse-moi faire, on pourra l’utiliser comme un barbecue en laissant la porte ouverte et comme un four à bois en la fermant. » Rêver déjà de ce qu'il va réaliser.
L’observer durant tout l’après-midi désosser la bête, dévisser, se pincer, découper, scier, démantibuler, s’acharner, se couper, jurer, persévérer…
Admirer son ingéniosité et son obstination.

Le voir recouvrir la carcasse métallique de feu le four d’un morceau d’isolant thermique récupéré lui aussi sur un coin de trottoir. (Informer : à Bruxelles, tout se récupère sur les trottoirs. Faire d’ailleurs partie de ces gens qui ont meublé presque tout leur appartement grâce aux objets abandonnés sur un coin de bitume aux bons soins de qui en voudra…)
Filer en fin de journée au supermarché acheter un poulet (« Tu verras ma chérie ce soir pour fêter l’arrivée de ton fils on va manger un poulet cuit dans notre nouveau four à bois. »)
Se régaler d’avance.
Rentrer du supermarché, reprendre son poste d’inspectrice des travaux finis, émettre quelques doutes sur l’efficacité de l’isolation, vite balayés par Compagnon Cuisinier. 
Admirer derechef.

Se rendre à la gare pour y attendre Fils Adoré d’un pas comme toujours léger.
Sentir comme toujours la même bouffée d’émotion en serrant Fils Adoré dans ses bras.
Rentrer en lui racontant les exploits de Compagnon Cuisinier et lui promettre qu’il va se régaler.
Tordre le cou à son scepticisme lorsqu'il découvre l’appartement et la terrasse sens dessus dessous. Lui expliquer que pour certains le bricolage est un art et qu’il ne s’accommode pas d’ordre et de propreté.

Voir le temps passer.

Suggérer à Compagnon Cuisinier que Fils Adoré devrait commencer à avoir faim et qu’il serait bon qu’il mange avant minuit.
Patienter (« J’ai presque terminé ma chérie, un tout petit peu de patience et on va se régaler. »)
Assister enfin à l’installation de l’engin sur la terrasse et à son allumage.
Voir les flammes envahir l’habitacle du four électrique devenu four à pain et se dire que tout de même ça brûle bien.
Se dire que ça brûle même très bien.
Se dire que ça brûle même peut-être un peu trop bien.
Se demander s’il est normal que des flammes sortent par le trou percé par Compagnon Cuisinier pour servir de conduit d’aération. 
S'inquiéter de voir les épaisseurs d’isolant thermique, de papier collant plastifié, de contreplaqué enrobant notre nouveau four à bois s’enflammer.

Contempler un énorme nuage noir et nauséabond monter dans le ciel bruxellois en direction des fenêtres du voisinage. 
Maudire l’indifférence des voisins qui laisseraient une famille entière périr dans un incendie sans appeler les pompiers.
Se féliciter de l’indifférence des voisins qui nous évite d’avoir à fournir des explications embarrassantes aux soldats du feu. (« Comment ça pas conforme notre installation ?)
Voir les flammes redoubler. S’émerveiller qu’une si petite quantité de bois produise tant d’effet.
Se dire qu'on va tout de même appeler les pompiers
Se féliciter que la terrasse soit équipée d’un tuyau d’arrosage.

Admirer le noble geste de Compagnon Cuisinier qui préfère noyer son travail de la journée plutôt que de laisser sa maison et sa famille prendre feu.

Le consoler en déclarant que son poulet cuit au four électrique est absolument délicieux.

Déguster un poulet cuit au four !

mardi 31 mars 2015

Chronique d'une odeur ordinaire, 31 mars 2015

Se lever aux aurores.
Hésiter entre le bonheur de revoir Fils Adoré à Paris pour le week-end et l’agacement d’avoir à subir un long trajet en bus aussi tôt.
Sortir sous la pluie et dans le froid de cette fin mars bruxelloise. Se féliciter d’habiter à deux pas du terminal des bus.
Espérer que le véhicule ne sera pas bondé à une heure aussi matinale et qu’on pourra s’allonger sur deux sièges pour rattraper un peu du sommeil perdu.
Abandonner tout espoir en voyant la file de personnes qui attendent pour embarquer.
Repérer sa rangée, se féliciter d’avoir pensé à réserver une place côté fenêtre, s’installer confortablement, poser son sac à main sur le siège côté couloir, comme un moyen de dissuasion.
Croiser les doigts pour que la place reste inoccupée.

Le voir entrer dans le véhicule.
Penser instantanément qu’il va s’asseoir à la place du sac à main, côté couloir. Se demander pourquoi on imagine tout de suite le pire alors qu’il reste d’autres places libres dans le bus. S’en vouloir de penser si fort qu’on ne veut pas de lui à côté de soi et se dire qu’il est peut-être très sympathique. Râler contre ces petites pensées d’ostracisme ordinaire qui nous pourrissent la cervelle.
Le voir avancer.
Plus que trois rangées, deux, une, « Bonjour, ah, 29, c’est ma place, c’est à vous le sac ? » Rêver de lui répondre non, rêver de lui répondre que le siège est déjà occupé. Ôter son sac à main pour libérer le siège.
Se ratatiner contre la fenêtre en se demandant pourquoi le seul obèse-vraiment-très-obèse du bus devait avoir réservé justement ce siège-là. Sentir son espace vital diminuer, réprimer un soupir en envisageant les quatre heures à passer tassée contre la vitre. Regretter, finalement, de n’avoir pas réservé la place côté couloir.
Se dire qu’on va attendre le départ du véhicule et trouver un prétexte pour changer de place. Voir les derniers sièges libres se remplir à mesure que l’heure du départ approche.
Constater que le véhicule est plein lorsqu’il se met en mouvement.

Ouvrir des yeux horrifiés.
Voir son voisin obèse sortir un paquet de chips de son sac et l’entamer.
Se demander comment on peut ingurgiter cela pour son petit-déjeuner à 6 h du matin…
Sentir son estomac regimber à l’odeur qui envahit l’espace. Réprimer un haut-le-cœur et s’estimer heureuse dans son malheur d’être assise à proximité des toilettes. Au cas où.

Bénir les progrès technologiques qui permettent de s’extraire du vacarme de la mastication grâce au casque de son baladeur numérique. Fermer les yeux, penser à autre chose, tenter d’oublier l’odeur des chips « goût bacon ».
Entendre, malgré les écouteurs, la première déflagration. Rouvrir les yeux interloquée. Ce n’est pas vrai. Ça ne peut pas être vrai.
Sentir l’odeur. L’autre odeur. Le bruit puis l’odeur.
C’est donc vrai.

Se faire une raison : il va falloir effectuer les quatre heures du trajet Bruxelles-Paris en bus assise à côté d’un obèse pétomane bouffeur de chips.
Percevoir, du coin de l’œil, le regard affolé de la voisine assise devant l’énergumène. Se dire que pour elle aussi le voyage sera long. Lui rendre un regard qui signifie à la fois « Hélas », « Pourquoi tant de haine » et « Ça fout les boules ». Sentir la catastrophe arriver en percevant ses paupière se plisser alors qu’une deuxième rafale accompagne notre échange de regards.
Voir ses épaules se mettre à trembler. 
Regarder ailleurs, respirer profondément, mais savoir que rien ne pourra lutter contre cette hilarité désespérée qui monte, qui monte, et qui engloutit tout. 
Regarder autour de soi, à gauche, à droite. Entendre que le rire se propage, devant, derrière, toute une zone du véhicule gagnée par un fou rire irrépressible, un fou rire qui tente de lutter contre l’odeur d’œuf pourri qui a envahi le bus.

Ne plus oser regarder son voisin de droite, qui continue à manger ses chips en pétant avec régularité toutes les trois ou quatre bouchées. Tenter de trouver en soi assez de compassion pour cet homme qui doit certainement souffrir de son état. Faire appel à cette compassion pour éteindre son hilarité.
Sentir malgré tout les larmes de rire couler le long de ses joues. S’en vouloir de tant de méchanceté.
Passer le reste du voyage tassée contre la fenêtre une écharpe autour du nez à observer le paysage.

N’avoir jamais été aussi contente d’arriver à Paris. 


Le bonheur d'enfin arriver à Paris !

mercredi 25 mars 2015

Chronique d'un achat ordinaire, 25 mars 2015

Contempler par la fenêtre la pluie drue qui tombe inlassablement sur le pavé bruxellois.
Jeter un regard désespéré au trio félin qui s’agite.
Poser l’équation « heure de manger + réserve de nourriture pour chats vide = félins en colère menaçant de tout fracasser dans l’appartement ».
S’en vouloir d’avoir oublié d’acheter des croquettes en faisant les courses ce matin.
Enfiler rageusement ses chaussures et son manteau.

Arriver trempée au supermarché.
S'emparer d'un sachet de croquettes et prendre la direction des caisses.
Se maudire d’avoir à faire cette emplette à l’heure de pointe et hésiter face aux différentes files débordantes de clients.
Savoir que la loi de Murphy s’applique inévitablement aux files de supermarché et que la colonne choisie sera forcément la plus lente.

Attendre son tour en laissant son regard errer sur les autres clients.
Leur inventer des vies pour passer le temps. Supposer que cet homme qui n’achète que des surgelés est fraîchement divorcé. Se demander si cette femme voilée l’est de son plein gré ou pour obéir à son mari. Sourire de cette mère de famille qui remet en place tous les chocolats que son enfant balance dans le caddie. S’agacer d’un groupe de jeunes cherchant à passer devant tout le monde au prétexte qu’ils n’ont qu’une bière à la main (« Oui, mais vous êtes cinq, et vous allez tous payer séparément… ») Les laisser passer quand même. Ronger son frein en pensant à toutes les bêtises que les félins sont susceptibles de commettre durant cette attente.

Laisser trainer ses oreilles sur la conversation des deux dames âgées qui nous précèdent dans la file d’attente.
S’attendrir devant leur minois de vieille pomme ridée et supposer qu’elles doivent dépasser les 160 ans à elles deux.
Soudain suffoquer.
Se demander si on a bien entendu.
Regarder la petite vieille au si gentil minois et entendre les paroles qu’elle vient de prononcer tournebouler dans notre tête.

« Et votre fille, elle est toujours avec ce Noir ? »

« CE NOIR… »

Défaillir.
Songer que « ce Noir » pourrait être Compagnon Cuisinier.
Avoir envie de pleurer.
Envisager en quelques dixièmes de secondes le comportement à adopter. S’apprêter à dégainer son sabre de pourfendeuse du racisme ordinaire et prendre son souffle pour asséner une réplique bien balancée.
Tendre tout de même l’oreille à la réponse apportée par Petite Vieille numéro deux avant de parler.

« Mais oui, dis, je suis tellement contente pour elle. Il est si gentil. Et beau, si tu savais. Ma petite-fille a de la chance, si j’avais cinquante ans de moins je le lui piquerais. C’est que j’avais du succès moi auprès des hommes dans le temps. »

Pâlir.
Rougir.
Admirer la tête décomposée de Petite Vieille numéro un et tenter de dissimuler son sourire.
Constater que le sabre de pourfendeuse du racisme ordinaire est en de bonnes (vieilles) mains.
Se féliciter de n’avoir pour une fois pas réagi impulsivement. Avoir la certitude que la réponse de Petite Vieille numéro deux est bien plus efficace que tout ce qu’on aurait pu inventer.

S’en vouloir d’être tombée dans le piège des clichés. Se demander si ce n’est pas une autre forme de racisme que de penser que tous les vieux sont réac. Philosopher au passage sur la validité ou non du concept de « racisme anti-vieux ».
Rentrer chez soi le cœur léger.
Retrouver la meute féline qui n’a presque pas déclenché de catastrophe, s'empresser de les nourrir.

Embrasser Compagnon Cuisinier à son retour et lui dire qu’on trouve la vie formidable.


Faire ses emplettes aux heures de pointe...

mercredi 18 mars 2015

Chronique d'un rituel ordinaire, 18 mars 2015

Sacrifier chaque matin au même rituel.
Se lever.
Enclencher la machine à café.
Nourrir le trio félin surexcité pour avoir la paix.
Boire son premier café installée dans le fauteuil rouge, celui qui est dans un rayon de soleil les matins où il y a du soleil (imaginer qu’il y a du soleil les – nombreux – autres matins).
Aller aux toilettes.
Rincer la baignoire dans laquelle Félin n° 3 a pissé. (Félin n° 3 pisse toutes les nuits dans la baignoire, sans que rien jamais n’ait expliqué ce grand mystère).
Boire un deuxième café dans le fauteuil rouge et son éventuel rayon de soleil.
Retourner aux toilettes.
Et là…
Grimper sur la balance !
Sacrifier à ce rituel stupide et avilissant, se maudire tous les matins d’être aussi conventionnelle, se jurer que demain matin on résistera que d’ailleurs on ne se pèsera plus qu’une fois par semaine, que même on va jeter sa balance tiens, qu’on va s’en débarrasser une bonne fois pour toutes comme du fer à repasser.
Lire anxieusement le résultat.
Sentir un sourire se dessiner lorsqu’il est inférieur à la veille.
Se chercher des excuses s’il est supérieur « Oui mais j’ai repris deux verres de jus de fruits avec mon café ce matin, oui mais Compagnon Cuisinier ne travaillait pas hier soir c’est lui qui m’a fait à manger, oui mais je vais avoir mes règles je suis toujours plus gonflée quand je vais avoir mes règles… »

Et pourtant.

Pourtant, afficher publiquement un mépris de bon aloi envers la tyrannie de la balance. Prendre son air le plus modeste lorsqu’on nous dit « tiens tu as perdu du poids » pour répondre : « Ah bon, tu trouves, je ne sais pas je ne me pèse jamais, ça doit être cette saloperie d’angine début février, je n’ai rien pu manger pendant deux semaines. » Pousser la filouterie féministe jusqu’à affirmer : « Je n’ai pas de balance chez moi je refuse de me soumettre à cette dictature du paraître qui nous asservit, nous les femmes et nous oblige à ressembler à des anorexiques. Alors ouste la balance, aux orties avec le fer à repasser ! De toute façon, ce qui compte, c’est de se sentir bien dans sa peau, n’est-ce pas, peu importe le poids. »

S’en vouloir un peu de ce mensonge, mais se dire qu’on œuvre publiquement pour la cause féministe quand même (« ce qui compte c’est le discours, pas les actes, hein, tous les politiciens vous le diront ! ») et que personne ne vient voir ce que je fais le matin dans ma salle de bain.

Se demander tout de même pourquoi ce matin la balance-que-je-ne-possède-pas-mais-sur-laquelle-je-grimpe-quand-même affiche 29 kilos.
Supposer qu’on n’a pas atteint ce poids depuis l’âge de 8 ans à peu près. 
Redescendre, remonter, constater qu’elle affiche cette fois 82 kilos.
Se souvenir que c’était à peu près le poids atteint au septième mois de grossesse.
Se dire que prendre 54 kilos en descendant et remontant sur la balance semble peu réaliste. Incriminer les piles.
Y voir une bonne opportunité de désintoxication. « Chiche, les piles de ta balance sont à plat, tu n’en rachètes pas tout de suite, tu attends une semaine, ou même tu n’en rachètes jamais, tu n’as pas de fric en ce moment, ça coûte cher des piles, attends un peu de toute façon tu sais bien que ton jeans préféré te renseigne sur tes variations de poids au moins aussi bien que ta balance – plus serré, moins serré… Allez, tu peux le faire, renonce à te peser. Saisis cette opportunité de mettre tes actes en conformité avec ton discours… »

Se dire qu’une telle décision mérite bien un nouveau café.
Le boire dans le fauteuil rouge en imaginant un rayon de soleil.

Ajouter piles pour la balance sur la liste des courses.


Le fauteuil rouge dans un rayon de soleil...

mercredi 11 mars 2015

Chronique d'un téléphone ordinaire, 11 mars 2015

Contempler son appartement.
Établir la liste des dossiers à traiter en urgence absolue :
Trier la pile de papiers administratifs qui menace de s’écrouler sur le bureau. 
Ou
Aspirater les poils de chats qui volètent à travers le salon à la manière d’un tumbleweed en plein western.
Ou
Vider la panière de linge sale (ah… la lessive… thème fondateur de ce blog et toujours d’actualité !)
Ou
Laver les vitres qui sont devenues presque opaques.
Ou
Répondre aux 127 courriels urgents qui attendent dans ma boîte mail.
Ou
Faire la vaisselle et ranger la cuisine…

Prendre le temps d’une pensée émue pour sa grand-mère qui ne manquait jamais à chaque printemps de « faire les à-fonds » dans son appartement.

Pousser un grand soupir démotivé et se mettre à dresser en parallèle la liste des stratégies d’évitement possibles :
Profiter du soleil enfin revenu pour aller prendre l’air.
Ou
Écrire une nouvelle chronique pour alimenter son blog.
Ou
Refaire le vernis à ongles de ses doigts de pieds qui est en train de s’écailler.
Ou
Jouer un peu avec la meute féline.
Ou
Téléphoner à Mère-Maman qu’on néglige ces derniers temps pour prendre de ses nouvelles.

Constater que le temps pris à hésiter a permis au soleil de se cacher.
Déplorer d’avoir la tête vide, aucune inspiration pour une nouvelle chronique.
Se souvenir que la bouteille de dissolvant est vide et qu’on n’en a pas racheté.
Admirer la capacité de la meute féline à dormir toute la journée pour ne se réveiller qu’à la nuit tombée.
Empoigner son téléphone et appeler Mère-Maman.

Passer sur les banalités d’usage « Et comment va la voisine et ta chienne toujours aussi fofolle et quel temps fait-il et as-tu des nouvelles de Frérot ? »
Sentir que Mère-Maman a quelque chose à dire. Laisser un blanc dans la conversation pour la laisser s’y engouffrer. 
« Au fait tu sais ma fille j’ai pensé à toi hier il m’est arrivé une aventure digne de ton blog ».

Soigner son ton de surprise et remercier les cours de comédie pris il y a si longtemps : « Ah bon tu connais mon blog ? Tu le lis ? Tu en penses quoi ? »
Savoir que seule la dernière question compte et que le reste n’était qu’entrée en matière.
« Bien sûr que je le connais puisqu’on est amies sur Facebook ! Alors je te disais hier… »
Maudire la capacité de Mère-Maman de ne pas répondre aux questions essentielles.
La laisser raconter.
« Hier donc, j’ai fait la lessive » (Tiens tiens…) « Pendant que la machine tournait, j’ai voulu en profiter pour passer quelques coups de fil. Tu m’excuses, ma fille, je ne te raconte pas l’histoire à l’infinitif, mais bon, l’intention y est ! Donc, je cherche le combiné du téléphone partout, je l’appelle même avec mon téléphone portable mais rien, je ne l’entends pas sonner. Je vais voir dans le panier de la chienne, si elle l’a confondu avec un os, toujours rien. Bon, à force de chercher partout, de retourner la maison, la lessive était prête. J’ouvre le tambour, je sors le linge, quelque chose tombe sur le sol : mon téléphone !!!! Tu imagines ma fille, j’ai passé mon téléphone à la machine à laver !!!! Je crois bien qu’il ne fonctionne plus maintenant, enfin peut-être que si je change les piles… Mais du coup pour l'instant j'ai rebranché mon ancien téléphone, celui qui a un fil en tire-bouchon... »
Remercier Mère-Maman avec empressement, raccrocher en sachant qu’on a trouvé une stratégie d’évitement aux corvées du ménage et de l’administration.

S’emparer de son ordinateur portable et entamer la rédaction d’une nouvelle chronique en contemplant les virevoltants qui se baladent sur le plancher.

Aspirater les tumbleweeds de son salon...


vendredi 6 mars 2015

Chronique d'une haine ordinaire, 6 mars 2015

Rentrer chez soi un banal soir de mars sans se douter de rien.
Refermer la porte d’entrée et ranger d’un geste coutumier manteau et chaussures.
Pénétrer dans la pièce principale.
LE voir.
Fixer d’un air ahuri sa quinzaine d'yeux qui nous contemplent d’un regard dont l’absence d’expression nous semble le pire des mépris.
Se demander ce qu’IL fait là, à trôner sur sa planche.
Vivre depuis tant d’années sans LUI et se retrouver là, un banal soir de mars, face à LUI, dans son propre salon !
(Rappeler au lecteur égaré que l’on avait évoqué SON absence sous notre toit lors d’une précédente chronique).

Lever le yeux à hauteur de ceux de Compagnon Cuisinier qui se tient hilare derrière LUI.
L’entendre claironner triomphant « Tu as vu chérie je t'ai fait une surprise, j’ai acheté un fer à repasser. »
Contempler Compagnon cuisinier qui brandit triomphalement son nouveau jouet et sentir monter en soi des velléités de meurtre.
Se demander de combien d’années de prison est puni l'assassinat à coup de fer à repasser (« C’était un cas de force majeure, Monsieur le Juge, une allergie redoutable, une phobie incontrôlable, de la légitime défense en quelque sorte… »)
Se demander si l’achat d’un fer à repasser par son compagnon est considéré comme une raison de divorce valable par les tribunaux. Se rappeler qu’on n’est pas mariés.
Se demander combien coûte le remplacement d’une fenêtre brisée par le jet d’un fer à repasser.
Se demander si le lancer de fer à repasser deviendra un jour discipline olympique et si l’on aurait alors une chance de médaille.
Se demander surtout ce qui a bien pu passer par la tête de Compagnon Cuisinier.
Prendre le temps de noter qu’aucun faux pli ne vient orner la chemise déposée sur la planche à repasser. 
Pousser l’honnêteté intellectuelle jusqu’à reconnaître en son for intérieur que Compagnon Cuisiner sait repasser. Bien repasser. Ne surtout pas l’avouer.

Se prendre à rêver.
« Et si Compagnon Cuisinier se mettait à repasser MES chemises ? »
Chasser horrifiée cette pensée saugrenue de son esprit.
Camper sur ses positions « ce sera LUI ou moi j’ai dit pas de fer à repasser dans ma maison, ce symbole de l’oppression de la femme par la tâche ménagère. »
Prendre garde depuis tant d’années à chaque pièce de sa garde robe, en faire un critère d’achat « oui ce petit chemisier est magnifique mais je dois pouvoir le porter sans le repasser. »
Avoir tenu bon face à Père de mon fils « non je ne repasserai pas tes chemises, oui ta mère le faisait mais non je ne suis pas ta mère. »
Ne pas céder.
Écouter d’une oreille distraite les récriminations de Compagnon Cuisinier, son laïus sur ses origines congolaises, sur l’importance de la sapologie dans sa famille, sur son géniteur qui le répudierait certainement s’il savait qu’il ne possède pas de fer à repasser, sur sa mère qui se demande comment il peut vivre avec une femme qui refuse de repasser, sur son frère qui s’est acheté une centrale vapeur dernier modèle…

Envisager l’accident domestique « oh mon chéri vraiment c’est bête, je m’étais coulé un bain, une envie subite de repassage m’a prise, et là catastrophe, un faux mouvement et ton fer à repasser s’est noyé, oh mon chéri, c’est tellement dommage, je pensais que ton fer à repasser serait plus joli en rose, mais la peinture dont j'ai recouvert la semelle ne supporte pas la chaleur, oh mon chéri je suis désolée j’ai voulu repasser la nappe en plastique de la terrasse et ton pauvre fer à repasser neuf est tout bousillé. » 
Décider que l’on est trop fatiguée pour déclencher la guerre ce soir et qu'on remet à demain l'élaboration d'une stratégie pour se débarrasser de l'objet.

Rajouter « nappe en plastique pour la terrasse » à la liste des courses.

IL est de retour !

mercredi 25 février 2015

Chronique d'une poubelle ordinaire, mardi 24 février 2015

Accueillir au matin Fils adoré à la gare.
Passer la journée à capturer chaque instant précieux de ces trop courts moments des vacances scolaires où il partage notre quotidien.
L’embrasser le soir dans son lit, sourire aux lèvres.
Décider de se coucher tôt, fatiguée par cette riche journée.
Se rendre à la salle de bain, se démaquiller, prendre une douche, enfiler un pyjama propre.
Se glisser avec délectation sous la couette.
Sentir ses muscles se détendre, son souffle s’apaiser, son cœur se calmer.
Songer qu’on est mardi soir.
Se dire qu’on pourrait faire comme si on n’y avait pas pensé.
Visualiser l’état de la cuisine le lendemain matin au réveil, la poubelle renversée, son contenu éparpillée sur le sol par une meute de félins en goguette. (Se souvenir qu’on a volontairement proposé à Fils adoré de manger du poulet ce soir, puisque les os ne resteraient pas dans la poubelle durant la nuit.)
Grogner, maugréer, soupirer puis se relever.

Se rendre à la cuisine, s’emparer de la poubelle, y rajouter la litière sale des minets, remettre de la litière propre, sortir la poubelle sur le trottoir huilé de pluie citadine, maudire la météo belge.
Rentrer, se rendre compte qu’on a oublié la petite poubelle de la salle de bain. 
Ressortir, la petite poubelle de la salle de bain dans une main, un parapluie dans l’autre main. Poser la petite poubelle de la salle de bain au sol. Tenir d’une main le parapluie, tenter, de l’autre, de rouvrir la grande poubelle (dont le sac consigné sera ramassé à l’aube par les éboueurs) pour y jeter la petite poubelle de la salle de bain (dont le sac quelconque serait ignoré par les dits éboueurs qui préféreraient laisser le contenu de la poubelle de ma salle de bain s’étaler sur le trottoir plutôt que de mettre dans leur camion un sac non agréé par la municipalité). Frissonner. Se dire qu’on aurait dû prendre le temps d’enfiler un jogging par dessus son pyjama avant de sortir. D’un faux mouvement, lâcher le parapluie qui vient de se retourner sous l’effet d’une rafale de vent glacé. Courir pour le récupérer, revenir à hauteur des poubelles, tenter de refermer le grand sac, rentrer trempée. 
Changer de pyjama, se recoucher. 

Percevoir la porte d’entrée s’ouvrir sur le retour de Compagnon cuisinier.
Sentir le froid extérieur se frayer un passage sous la couette lorsqu’il pénètre dans la chambre à coucher et se penche pour nous murmurer un mot à l’oreille. Frissonner à nouveau.
L’entendre prononcer « j’arrive, je vais encore sortir la poubelle pendant que je suis habillé puis je viens me coucher ». 
Se demander pourquoi, alors que la réponse appropriée serait « merci mon amour d’y avoir pensé mais je l’ai déjà fait » on rêve de hurler « sale con tu pouvais pas rentrer un quart d’heure plus tôt ça m’aurait évité de me relever ? »

Marmonner à la place quelques onomatopées qui pourraient aussi bien signifier « merci beaucoup », que « bonne nuit », que « fous-moi la paix ».


S’endormir en rêvant d’un monde sans poubelles.

La petite poubelle de la salle de bain !

dimanche 22 février 2015

Chronique d'une triste nouvelle, 21 février 2015

Apercevoir un coin de ciel gris.
Écouter le bruit de la pluie qui tombe dans la cour.
Remonter sa couette sur le bout de son nez et s’accorder une grasse matinée.
Maudire les trois mots prononcés hier soir au téléphone par Père de mon fils et qui m’ont empêchée de dormir.
« Mélo est morte ».
Trois mot sans même un infinitif !

Remonter le temps.
Placer le curseur en ce mois de mai 2001.
Repenser aux vingt kilos supplémentaires qu’on traînait de la démarche de canard caractéristique des femmes enceintes (et se souvenir du regard désespéré de la gynécologue lorsque la balance afficha 36 kilos de prise de poids en fin de grossesse, mais c’est une autre histoire).
Mai 2001, donc.
Rentrer chez soi tenant à la main son premier « cadeau de naissance d’avant la naissance ». 
Déposer dans le salon le panier de transport caractéristique.
Ouvrir la porte. 
Encourager Boule de poils à sortir, petite chose toute blanche pas plus grosse que mon poing.  
Se regarder avec Futur père de mon fils (ou plutôt : avec Père de mon futur fils). « Comment l’appeler ? »
Entamer la liste des possibles noms.
Constater qu’il est bien plus difficile de trouver un nom pour un chat que pour un enfant.
Se réveiller au milieu de la nuit, tirée du lit par l’une des nombreuses causes d’insomnies des femmes enceintes.
Réveiller Père de mon futur fils et s'écrier : « Mélocoton ».
Éclater de rire en voyant son regard ensommeillé émettre des point d’interrogation.
« Mélocoton, nous allons l’appeler Mélocoton, ce sera un hommage à la chanson de Colette Magny que nous écoutons toujours dans la voiture, et puis ça veut dire pêche en espagnol, et les pêches sont recouvertes d’un fin duvet blanc, comme les poils de Mélocoton ! »
Se lever, aller vider sa vessie comprimée par Futur fils en profiter pour vérifier si Mélocoton nouvellement baptisée ne fait pas de bêtises, la trouver recroquevillée dans la bibliothèque derrière quelques volumes d’une encyclopédie de l’histoire mondiale, se recoucher, se rendormir sourire aux lèvres. 

Laisser défiler en accéléré les quelques mois qui séparent l’arrivée de Mélocoton en mai et celle de Fils adoré en septembre. 
Se souvenir qu’à cette époque, encore chaton, elle adorait se coucher sur mon ventre de femme enceinte, calée entre mon nombril et ma poitrine.
Se dire que la mémoire est sélective et qu’on oublie vite les bêtises à la chaîne. La jalousie qui la faisait pisser dans le berceau, l’aspirateur coincé sous la porte de Fils adoré nouvellement né pour qu’elle ne l’ouvre pas en sautant sur la poignée. 
Rire en se rappelant cette nuit où elle tenta tout de même de sauter pour ouvrir la porte et retomba sur le bouton marche de l’aspirateur qui était resté branché. 
Se demander encore aujourd’hui qui d’elle ou de nous eut le plus peur de ce vacarme dans la tranquillité de la nuit.
Évoquer le déménagement à Paris, Mélocoton devenue Mélo, tant en grandissant tout semblait devenir mélodramatique dans sa vie.
Revoir Mélo devenue adulte se livrer à son seul jeu : la chasse aux pigeons, qu’elle pratiquait en trois étapes : 1) sauter sur le rebord de la fenêtre. 2) Prendre la pause caractéristique du félin en chasse, une patte relevée et repliée sous le ventre, le corps ramassé prête à bondir. 3) Repartir en courant se cacher dans son armoire dès que le pigeon bougeait.
(Préciser : Mélo vivait dans une armoire. Elle y avait élu domicile et rien ne put la décider à dormir ailleurs, au point que Père de mon fils fabriqua une chatière dans la porte du placard pour lui permettre d’aller et venir à sa guise !)
Se demander encore aujourd'hui pourquoi à part ses croquettes, aucune nourriture ne trouvait grâce à ses yeux, pas même un morceau de poulet frais placé dans sa gamelle.
Mélocoton au caractère plus proche du cactus que de la pêche...
Mélo chat de placard, que rien ne stressa sinon l’œil torve de quelque pigeon.
Mélo dont Fils adoré disait quand il était petit « c’est ma sœur ».
Mélo qui resta vivre à Paris avec Fils adoré lorsque la vie me mena sous d’autre cieux.
Mélo qui me manquait souvent malgré le trio de félins qui peuple ma nouvelle vie. 
Mélo dont le cœur a lâché.

Réaliser qu’avec toi c’est tout un pan de ma vie qui s’en va.





samedi 14 février 2015

Chronique d'une semaine bien peu ordinaire, du 9 au 14 février 2015

Se rendre dans un petit village près de Melun pour y animer un atelier théâtre pour des lycéens.
Y passer une semaine hors du temps.
Apprécier ce moment décalé hors de la vie quotidienne, se dire qu’on est chanceuse malgré tout de pouvoir vivre de tels instants.
Se réveiller face à l’immense forêt qui s’étale devant notre fenêtre.
Découvrir en arrivant qu’un écureuil est notre voisin.
S’empresser de se lever chaque matin pour vérifier qu’il est toujours là.
L’apercevoir, confortablement installé sur la plus grosse branche du plus gros gros arbre juste en face de ma fenêtre.
Entamer sa journée en l’admirant quelques instants sautiller de branche en branche puis se glisser tête en bas le long du tronc pour rejoindre le sol, et y grignoter quelque friandise à lui seul destinée.
Apprécier ce rituel matinal.
Se dire qu’il va nous manquer lorsqu’on aura rejoint Bruxelles.
Se demander l’espace d’un instant s’il serait possible de faire vivre un écureuil en captivité sur sa terrasse.
Imaginer les babines retroussées et la gueule salivante du trio félin et y renoncer.
Se rendre au réfectoire prendre son petit-déjeuner.
Retrouver ses quinze élèves et leurs yeux brillants d’envie.
Se souvenir de ses premiers émois théâtraux, il y a tant d’années déjà.
Redécider, chaque matin, de leur donner le maximum, de se livrer à fond parce qu’on doit bien cela à ces trente yeux brillants.
Tenter de leur transmettre un peu de la passion que d’autres m’ont transmise lorsque j’avais leur âge.
Se persuader que l’avenir est là, dans ces regards avides, et non dans les catastrophes dont les médias, les réseaux sociaux et les amis adeptes de théories conspirationnistes aiment à nous abreuver.
Terminer la semaine émue aux larmes par cette bande de chiens fous si assoiffés d’apprendre.
S’en vouloir de n’avoir pas assez trouvé les mots pour les remercier de tout ce qu’ils m’ont apporté.
Quitter Melun vendredi soir, fatiguée, courbaturée, la gorge en vrac (se rappeler que le médecin nous avait conseillé de parler le moins possible durant la semaine pour soigner cette fichue angine et se dire que c’est raté) mais heureuse du travail accompli. 
Flotter entre deux eaux dans le train qui nous ramène à la civilisation.
Osciller entre la nostalgie déjà de cette semaine hors du quotidien, semaine durant laquelle on s’est sentie connectée à cette source d’énergie et de bonheur que peut être le théâtre, et le plaisir de retrouver bientôt son chez-soi, de retrouver Bruxelles, Compagnon Cuisinier et l’infernal trio miauleur.
Mais être obligée de passer quelques jours à Paris pour y régler des obligations administratives avant de rentrer à Bruxelles.
Arriver dans la Ville Lumière et s’y sentir bizarrement étrangère après y avoir pourtant vécu plus de dix ans.
Récupérer les clés d’un appartement prêté par un ami pour y passer ces quelques nuits de transit.
Débarquer dans l’appartement inhabité et glacial, et découvrir avec ravissement que le précédent locataire s’est cru autorisé à partir en emportant la couette et tout le linge de lit.
Passer la nuit seule emmitouflée dans son manteau.
Avoir l’impression de renouer avec les galères de quand on avait vingt ans, mais un peu moins jeune, un peu moins enthousiaste, un peu moins résistante…
Rêver d’avoir un jour les moyens de se payer un hôtel.

Décider, à défaut, de se payer un sac de couchage.

lundi 9 février 2015

Chronique d'un samedi ordinaire, le 7 février 2015

Savourer un vague renouveau de santé.
En profiter pour effectuer sa première sortie de la semaine.
Se rendre à la banque afin d’activer sa toute nouvelle carte bancaire reçue en début de semaine pour remplacer celle qui fut volée.
Effectuer l’activation au distributeur automatique, tenter de retirer un peu d’argent se le voir refuser par la machine sous prétexte de « solde » insuffisant.
Revérifier sur l’application mobile de son smartphone qu’on a bien du liquide sur son compte.
Se demander si les menaces du banquier français concernant mon compte français effectivement trop à découvert depuis trop longtemps sont parvenues aux oreilles du banquier belge.
Se rendre au guichet pour tenter de comprendre ce qu’il en est et pourquoi cet argent est bloqué.
Se voir attribuer un numéro d’attente et constater qu’il y a encore huit personnes avant soi.
Attendre.
Attendre encore.
Être reçue par un employé qui commence par nous demander une pièce d’identité.
Lui tendre notre passeport. 
Lui répondre que « non, effectivement je ne suis pas enregistrée chez vous avec cette pièce d’identité, mais avec ma carte de séjour belge qui elle, justement, m’a été volée il y a dix jours. »
Noter la moue sceptique dudit employé.
S’entendre répondre que mon compte a été bloqué « pour raisons de sécurité ». 
Demander des explications.
Se voir opposer que « je ne sais pas moi, peut-être que vous avez des ennuis avec le fisc, ou que vous avez des dettes ou êtes une reprise de justice… »
Remercier l’employé de tant de sollicitude.
Lui demander que faire pour débloquer la situation. L’entendre répondre qu’il n’en a aucune idée et que je dois bien savoir, moi, ce que j’ai fait !
Euh… Non !
Sortir de là un peu désemparée. 
S’asseoir sur un banc et hésiter entre rire ou pleurer.
Honorer sa décision du premier février (« je reste optimiste ») et éclater de rire.
Néanmoins se mettre à réfléchir.
Réaliser que, « pour raisons de sécurité », la banque demande une preuve d’identité ainsi que de résidence permanente et fiscale sur le territoire belge avant d’accepter l’ouverture d’un compte.
Se souvenir que l’on a fourni comme « preuve » notre toute nouvelle « carte de séjour », sorte de sésame à tout faire au Royaume de Belgique obtenue de si haute lutte au mois de novembre dernier.
Savoir que, puisque cette carte fait partie des documents volés, on l’a faite annuler et que l’on doit en recommander un nouvelle.
Se dire donc que, en toute logique, puisque l’on est identifiée auprès de la banque au moyen de cette pièce d’identité qui vient d’être annulée, forcément que tant qu’on ne sera pas ré-identifiée avec notre nouvelle carte de séjour que l’Administration belge va aimablement nous fournir, notre compte risque de rester bloqué.
Savourer avec une joie toute orwellienne les méandres universels de l’Administration.
Se trouver donc dans le paradoxe suivant : « J’ai besoin d’obtenir une nouvelle carte de séjour pour pouvoir toucher l’argent qui m’appartient et qui est sur mon compte. Pour obtenir cette nouvelle carte de séjour je dois la commander auprès des services concernés de l’Administration belge au moyen de l’attestation de plainte qui m’a été remise par la police et payer la modique somme de 23 euros. Oui, mais pour payer j’ai besoin d’avoir accès à mon argent. Et pour avoir accès à mon argent il me faut ma nouvelle carte… »
Maudire cette satané angine qui nous a empêché d’effectuer ces démarches administratives plus tôt dans la semaine.
Réaliser qu’on doit partir demain pour dix jours en France afin d’animer un atelier théâtre, sans carte bancaire valide, donc. 
Faire le tour de ses poches et du fond de son sac à main. 
Comptabiliser en tout et pour tout huit euros et quarante-sept cents.
Se souvenir de sa décision du premier février et décider d’appliquer la méthode « je reste optimiste »: « Au moins, cela fera dix jours où je ne toucherai pas à cet argent, vu ma situation financière déplorable c’est une formidable opportunité de ne rien dépenser. »

Rentrer en se réjouissant en chemin que février ne compte que 28 jours.