Se réjouir de passer le week-end de Pâques en compagnie de Fils Adoré.
Étudier les prévisions météorologiques.
Décider que la légère embellie annoncée pour les fêtes pascales suffira à nous permettre de nettoyer la terrasse. Espérer pouvoir allumer le premier barbecue de la saison.
Voir Compagnon Cuisinier revenir ce vendredi saint les bras chargé d’un vieux four électrique manifestement hors d’usage.
L’écouter nous expliquer comment il l'a trouvé sur le trottoir et l'a récupéré pour le transformer en un barbecue-four à bois. « Tu verras, j’ai tout prévu, laisse-moi faire, on pourra l’utiliser comme un barbecue en laissant la porte ouverte et comme un four à bois en la fermant. » Rêver déjà de ce qu'il va réaliser.
L’observer durant tout l’après-midi désosser la bête, dévisser, se pincer, découper, scier, démantibuler, s’acharner, se couper, jurer, persévérer…
Admirer son ingéniosité et son obstination.
Le voir recouvrir la carcasse métallique de feu le four d’un morceau d’isolant thermique récupéré lui aussi sur un coin de trottoir. (Informer : à Bruxelles, tout se récupère sur les trottoirs. Faire d’ailleurs partie de ces gens qui ont meublé presque tout leur appartement grâce aux objets abandonnés sur un coin de bitume aux bons soins de qui en voudra…)
Filer en fin de journée au supermarché acheter un poulet (« Tu verras ma chérie ce soir pour fêter l’arrivée de ton fils on va manger un poulet cuit dans notre nouveau four à bois. »)
Se régaler d’avance.
Rentrer du supermarché, reprendre son poste d’inspectrice des travaux finis, émettre quelques doutes sur l’efficacité de l’isolation, vite balayés par Compagnon Cuisinier.
Admirer derechef.
Se rendre à la gare pour y attendre Fils Adoré d’un pas comme toujours léger.
Sentir comme toujours la même bouffée d’émotion en serrant Fils Adoré dans ses bras.
Rentrer en lui racontant les exploits de Compagnon Cuisinier et lui promettre qu’il va se régaler.
Tordre le cou à son scepticisme lorsqu'il découvre l’appartement et la terrasse sens dessus dessous. Lui expliquer que pour certains le bricolage est un art et qu’il ne s’accommode pas d’ordre et de propreté.
Voir le temps passer.
Suggérer à Compagnon Cuisinier que Fils Adoré devrait commencer à avoir faim et qu’il serait bon qu’il mange avant minuit.
Patienter (« J’ai presque terminé ma chérie, un tout petit peu de patience et on va se régaler. »)
Assister enfin à l’installation de l’engin sur la terrasse et à son allumage.
Voir les flammes envahir l’habitacle du four électrique devenu four à pain et se dire que tout de même ça brûle bien.
Se dire que ça brûle même très bien.
Se dire que ça brûle même peut-être un peu trop bien.
Se demander s’il est normal que des flammes sortent par le trou percé par Compagnon Cuisinier pour servir de conduit d’aération.
S'inquiéter de voir les épaisseurs d’isolant thermique, de papier collant plastifié, de contreplaqué enrobant notre nouveau four à bois s’enflammer.
Contempler un énorme nuage noir et nauséabond monter dans le ciel bruxellois en direction des fenêtres du voisinage.
Maudire l’indifférence des voisins qui laisseraient une famille entière périr dans un incendie sans appeler les pompiers.
Se féliciter de l’indifférence des voisins qui nous évite d’avoir à fournir des explications embarrassantes aux soldats du feu. (« Comment ça pas conforme notre installation ?)
Voir les flammes redoubler. S’émerveiller qu’une si petite quantité de bois produise tant d’effet.
Se dire qu'on va tout de même appeler les pompiers.
Se féliciter que la terrasse soit équipée d’un tuyau d’arrosage.
Admirer le noble geste de Compagnon Cuisinier qui préfère noyer son travail de la journée plutôt que de laisser sa maison et sa famille prendre feu.