mercredi 25 février 2015

Chronique d'une poubelle ordinaire, mardi 24 février 2015

Accueillir au matin Fils adoré à la gare.
Passer la journée à capturer chaque instant précieux de ces trop courts moments des vacances scolaires où il partage notre quotidien.
L’embrasser le soir dans son lit, sourire aux lèvres.
Décider de se coucher tôt, fatiguée par cette riche journée.
Se rendre à la salle de bain, se démaquiller, prendre une douche, enfiler un pyjama propre.
Se glisser avec délectation sous la couette.
Sentir ses muscles se détendre, son souffle s’apaiser, son cœur se calmer.
Songer qu’on est mardi soir.
Se dire qu’on pourrait faire comme si on n’y avait pas pensé.
Visualiser l’état de la cuisine le lendemain matin au réveil, la poubelle renversée, son contenu éparpillée sur le sol par une meute de félins en goguette. (Se souvenir qu’on a volontairement proposé à Fils adoré de manger du poulet ce soir, puisque les os ne resteraient pas dans la poubelle durant la nuit.)
Grogner, maugréer, soupirer puis se relever.

Se rendre à la cuisine, s’emparer de la poubelle, y rajouter la litière sale des minets, remettre de la litière propre, sortir la poubelle sur le trottoir huilé de pluie citadine, maudire la météo belge.
Rentrer, se rendre compte qu’on a oublié la petite poubelle de la salle de bain. 
Ressortir, la petite poubelle de la salle de bain dans une main, un parapluie dans l’autre main. Poser la petite poubelle de la salle de bain au sol. Tenir d’une main le parapluie, tenter, de l’autre, de rouvrir la grande poubelle (dont le sac consigné sera ramassé à l’aube par les éboueurs) pour y jeter la petite poubelle de la salle de bain (dont le sac quelconque serait ignoré par les dits éboueurs qui préféreraient laisser le contenu de la poubelle de ma salle de bain s’étaler sur le trottoir plutôt que de mettre dans leur camion un sac non agréé par la municipalité). Frissonner. Se dire qu’on aurait dû prendre le temps d’enfiler un jogging par dessus son pyjama avant de sortir. D’un faux mouvement, lâcher le parapluie qui vient de se retourner sous l’effet d’une rafale de vent glacé. Courir pour le récupérer, revenir à hauteur des poubelles, tenter de refermer le grand sac, rentrer trempée. 
Changer de pyjama, se recoucher. 

Percevoir la porte d’entrée s’ouvrir sur le retour de Compagnon cuisinier.
Sentir le froid extérieur se frayer un passage sous la couette lorsqu’il pénètre dans la chambre à coucher et se penche pour nous murmurer un mot à l’oreille. Frissonner à nouveau.
L’entendre prononcer « j’arrive, je vais encore sortir la poubelle pendant que je suis habillé puis je viens me coucher ». 
Se demander pourquoi, alors que la réponse appropriée serait « merci mon amour d’y avoir pensé mais je l’ai déjà fait » on rêve de hurler « sale con tu pouvais pas rentrer un quart d’heure plus tôt ça m’aurait évité de me relever ? »

Marmonner à la place quelques onomatopées qui pourraient aussi bien signifier « merci beaucoup », que « bonne nuit », que « fous-moi la paix ».


S’endormir en rêvant d’un monde sans poubelles.

La petite poubelle de la salle de bain !

dimanche 22 février 2015

Chronique d'une triste nouvelle, 21 février 2015

Apercevoir un coin de ciel gris.
Écouter le bruit de la pluie qui tombe dans la cour.
Remonter sa couette sur le bout de son nez et s’accorder une grasse matinée.
Maudire les trois mots prononcés hier soir au téléphone par Père de mon fils et qui m’ont empêchée de dormir.
« Mélo est morte ».
Trois mot sans même un infinitif !

Remonter le temps.
Placer le curseur en ce mois de mai 2001.
Repenser aux vingt kilos supplémentaires qu’on traînait de la démarche de canard caractéristique des femmes enceintes (et se souvenir du regard désespéré de la gynécologue lorsque la balance afficha 36 kilos de prise de poids en fin de grossesse, mais c’est une autre histoire).
Mai 2001, donc.
Rentrer chez soi tenant à la main son premier « cadeau de naissance d’avant la naissance ». 
Déposer dans le salon le panier de transport caractéristique.
Ouvrir la porte. 
Encourager Boule de poils à sortir, petite chose toute blanche pas plus grosse que mon poing.  
Se regarder avec Futur père de mon fils (ou plutôt : avec Père de mon futur fils). « Comment l’appeler ? »
Entamer la liste des possibles noms.
Constater qu’il est bien plus difficile de trouver un nom pour un chat que pour un enfant.
Se réveiller au milieu de la nuit, tirée du lit par l’une des nombreuses causes d’insomnies des femmes enceintes.
Réveiller Père de mon futur fils et s'écrier : « Mélocoton ».
Éclater de rire en voyant son regard ensommeillé émettre des point d’interrogation.
« Mélocoton, nous allons l’appeler Mélocoton, ce sera un hommage à la chanson de Colette Magny que nous écoutons toujours dans la voiture, et puis ça veut dire pêche en espagnol, et les pêches sont recouvertes d’un fin duvet blanc, comme les poils de Mélocoton ! »
Se lever, aller vider sa vessie comprimée par Futur fils en profiter pour vérifier si Mélocoton nouvellement baptisée ne fait pas de bêtises, la trouver recroquevillée dans la bibliothèque derrière quelques volumes d’une encyclopédie de l’histoire mondiale, se recoucher, se rendormir sourire aux lèvres. 

Laisser défiler en accéléré les quelques mois qui séparent l’arrivée de Mélocoton en mai et celle de Fils adoré en septembre. 
Se souvenir qu’à cette époque, encore chaton, elle adorait se coucher sur mon ventre de femme enceinte, calée entre mon nombril et ma poitrine.
Se dire que la mémoire est sélective et qu’on oublie vite les bêtises à la chaîne. La jalousie qui la faisait pisser dans le berceau, l’aspirateur coincé sous la porte de Fils adoré nouvellement né pour qu’elle ne l’ouvre pas en sautant sur la poignée. 
Rire en se rappelant cette nuit où elle tenta tout de même de sauter pour ouvrir la porte et retomba sur le bouton marche de l’aspirateur qui était resté branché. 
Se demander encore aujourd’hui qui d’elle ou de nous eut le plus peur de ce vacarme dans la tranquillité de la nuit.
Évoquer le déménagement à Paris, Mélocoton devenue Mélo, tant en grandissant tout semblait devenir mélodramatique dans sa vie.
Revoir Mélo devenue adulte se livrer à son seul jeu : la chasse aux pigeons, qu’elle pratiquait en trois étapes : 1) sauter sur le rebord de la fenêtre. 2) Prendre la pause caractéristique du félin en chasse, une patte relevée et repliée sous le ventre, le corps ramassé prête à bondir. 3) Repartir en courant se cacher dans son armoire dès que le pigeon bougeait.
(Préciser : Mélo vivait dans une armoire. Elle y avait élu domicile et rien ne put la décider à dormir ailleurs, au point que Père de mon fils fabriqua une chatière dans la porte du placard pour lui permettre d’aller et venir à sa guise !)
Se demander encore aujourd'hui pourquoi à part ses croquettes, aucune nourriture ne trouvait grâce à ses yeux, pas même un morceau de poulet frais placé dans sa gamelle.
Mélocoton au caractère plus proche du cactus que de la pêche...
Mélo chat de placard, que rien ne stressa sinon l’œil torve de quelque pigeon.
Mélo dont Fils adoré disait quand il était petit « c’est ma sœur ».
Mélo qui resta vivre à Paris avec Fils adoré lorsque la vie me mena sous d’autre cieux.
Mélo qui me manquait souvent malgré le trio de félins qui peuple ma nouvelle vie. 
Mélo dont le cœur a lâché.

Réaliser qu’avec toi c’est tout un pan de ma vie qui s’en va.





samedi 14 février 2015

Chronique d'une semaine bien peu ordinaire, du 9 au 14 février 2015

Se rendre dans un petit village près de Melun pour y animer un atelier théâtre pour des lycéens.
Y passer une semaine hors du temps.
Apprécier ce moment décalé hors de la vie quotidienne, se dire qu’on est chanceuse malgré tout de pouvoir vivre de tels instants.
Se réveiller face à l’immense forêt qui s’étale devant notre fenêtre.
Découvrir en arrivant qu’un écureuil est notre voisin.
S’empresser de se lever chaque matin pour vérifier qu’il est toujours là.
L’apercevoir, confortablement installé sur la plus grosse branche du plus gros gros arbre juste en face de ma fenêtre.
Entamer sa journée en l’admirant quelques instants sautiller de branche en branche puis se glisser tête en bas le long du tronc pour rejoindre le sol, et y grignoter quelque friandise à lui seul destinée.
Apprécier ce rituel matinal.
Se dire qu’il va nous manquer lorsqu’on aura rejoint Bruxelles.
Se demander l’espace d’un instant s’il serait possible de faire vivre un écureuil en captivité sur sa terrasse.
Imaginer les babines retroussées et la gueule salivante du trio félin et y renoncer.
Se rendre au réfectoire prendre son petit-déjeuner.
Retrouver ses quinze élèves et leurs yeux brillants d’envie.
Se souvenir de ses premiers émois théâtraux, il y a tant d’années déjà.
Redécider, chaque matin, de leur donner le maximum, de se livrer à fond parce qu’on doit bien cela à ces trente yeux brillants.
Tenter de leur transmettre un peu de la passion que d’autres m’ont transmise lorsque j’avais leur âge.
Se persuader que l’avenir est là, dans ces regards avides, et non dans les catastrophes dont les médias, les réseaux sociaux et les amis adeptes de théories conspirationnistes aiment à nous abreuver.
Terminer la semaine émue aux larmes par cette bande de chiens fous si assoiffés d’apprendre.
S’en vouloir de n’avoir pas assez trouvé les mots pour les remercier de tout ce qu’ils m’ont apporté.
Quitter Melun vendredi soir, fatiguée, courbaturée, la gorge en vrac (se rappeler que le médecin nous avait conseillé de parler le moins possible durant la semaine pour soigner cette fichue angine et se dire que c’est raté) mais heureuse du travail accompli. 
Flotter entre deux eaux dans le train qui nous ramène à la civilisation.
Osciller entre la nostalgie déjà de cette semaine hors du quotidien, semaine durant laquelle on s’est sentie connectée à cette source d’énergie et de bonheur que peut être le théâtre, et le plaisir de retrouver bientôt son chez-soi, de retrouver Bruxelles, Compagnon Cuisinier et l’infernal trio miauleur.
Mais être obligée de passer quelques jours à Paris pour y régler des obligations administratives avant de rentrer à Bruxelles.
Arriver dans la Ville Lumière et s’y sentir bizarrement étrangère après y avoir pourtant vécu plus de dix ans.
Récupérer les clés d’un appartement prêté par un ami pour y passer ces quelques nuits de transit.
Débarquer dans l’appartement inhabité et glacial, et découvrir avec ravissement que le précédent locataire s’est cru autorisé à partir en emportant la couette et tout le linge de lit.
Passer la nuit seule emmitouflée dans son manteau.
Avoir l’impression de renouer avec les galères de quand on avait vingt ans, mais un peu moins jeune, un peu moins enthousiaste, un peu moins résistante…
Rêver d’avoir un jour les moyens de se payer un hôtel.

Décider, à défaut, de se payer un sac de couchage.