mercredi 18 mars 2015

Chronique d'un rituel ordinaire, 18 mars 2015

Sacrifier chaque matin au même rituel.
Se lever.
Enclencher la machine à café.
Nourrir le trio félin surexcité pour avoir la paix.
Boire son premier café installée dans le fauteuil rouge, celui qui est dans un rayon de soleil les matins où il y a du soleil (imaginer qu’il y a du soleil les – nombreux – autres matins).
Aller aux toilettes.
Rincer la baignoire dans laquelle Félin n° 3 a pissé. (Félin n° 3 pisse toutes les nuits dans la baignoire, sans que rien jamais n’ait expliqué ce grand mystère).
Boire un deuxième café dans le fauteuil rouge et son éventuel rayon de soleil.
Retourner aux toilettes.
Et là…
Grimper sur la balance !
Sacrifier à ce rituel stupide et avilissant, se maudire tous les matins d’être aussi conventionnelle, se jurer que demain matin on résistera que d’ailleurs on ne se pèsera plus qu’une fois par semaine, que même on va jeter sa balance tiens, qu’on va s’en débarrasser une bonne fois pour toutes comme du fer à repasser.
Lire anxieusement le résultat.
Sentir un sourire se dessiner lorsqu’il est inférieur à la veille.
Se chercher des excuses s’il est supérieur « Oui mais j’ai repris deux verres de jus de fruits avec mon café ce matin, oui mais Compagnon Cuisinier ne travaillait pas hier soir c’est lui qui m’a fait à manger, oui mais je vais avoir mes règles je suis toujours plus gonflée quand je vais avoir mes règles… »

Et pourtant.

Pourtant, afficher publiquement un mépris de bon aloi envers la tyrannie de la balance. Prendre son air le plus modeste lorsqu’on nous dit « tiens tu as perdu du poids » pour répondre : « Ah bon, tu trouves, je ne sais pas je ne me pèse jamais, ça doit être cette saloperie d’angine début février, je n’ai rien pu manger pendant deux semaines. » Pousser la filouterie féministe jusqu’à affirmer : « Je n’ai pas de balance chez moi je refuse de me soumettre à cette dictature du paraître qui nous asservit, nous les femmes et nous oblige à ressembler à des anorexiques. Alors ouste la balance, aux orties avec le fer à repasser ! De toute façon, ce qui compte, c’est de se sentir bien dans sa peau, n’est-ce pas, peu importe le poids. »

S’en vouloir un peu de ce mensonge, mais se dire qu’on œuvre publiquement pour la cause féministe quand même (« ce qui compte c’est le discours, pas les actes, hein, tous les politiciens vous le diront ! ») et que personne ne vient voir ce que je fais le matin dans ma salle de bain.

Se demander tout de même pourquoi ce matin la balance-que-je-ne-possède-pas-mais-sur-laquelle-je-grimpe-quand-même affiche 29 kilos.
Supposer qu’on n’a pas atteint ce poids depuis l’âge de 8 ans à peu près. 
Redescendre, remonter, constater qu’elle affiche cette fois 82 kilos.
Se souvenir que c’était à peu près le poids atteint au septième mois de grossesse.
Se dire que prendre 54 kilos en descendant et remontant sur la balance semble peu réaliste. Incriminer les piles.
Y voir une bonne opportunité de désintoxication. « Chiche, les piles de ta balance sont à plat, tu n’en rachètes pas tout de suite, tu attends une semaine, ou même tu n’en rachètes jamais, tu n’as pas de fric en ce moment, ça coûte cher des piles, attends un peu de toute façon tu sais bien que ton jeans préféré te renseigne sur tes variations de poids au moins aussi bien que ta balance – plus serré, moins serré… Allez, tu peux le faire, renonce à te peser. Saisis cette opportunité de mettre tes actes en conformité avec ton discours… »

Se dire qu’une telle décision mérite bien un nouveau café.
Le boire dans le fauteuil rouge en imaginant un rayon de soleil.

Ajouter piles pour la balance sur la liste des courses.


Le fauteuil rouge dans un rayon de soleil...

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