mardi 31 mars 2015

Chronique d'une odeur ordinaire, 31 mars 2015

Se lever aux aurores.
Hésiter entre le bonheur de revoir Fils Adoré à Paris pour le week-end et l’agacement d’avoir à subir un long trajet en bus aussi tôt.
Sortir sous la pluie et dans le froid de cette fin mars bruxelloise. Se féliciter d’habiter à deux pas du terminal des bus.
Espérer que le véhicule ne sera pas bondé à une heure aussi matinale et qu’on pourra s’allonger sur deux sièges pour rattraper un peu du sommeil perdu.
Abandonner tout espoir en voyant la file de personnes qui attendent pour embarquer.
Repérer sa rangée, se féliciter d’avoir pensé à réserver une place côté fenêtre, s’installer confortablement, poser son sac à main sur le siège côté couloir, comme un moyen de dissuasion.
Croiser les doigts pour que la place reste inoccupée.

Le voir entrer dans le véhicule.
Penser instantanément qu’il va s’asseoir à la place du sac à main, côté couloir. Se demander pourquoi on imagine tout de suite le pire alors qu’il reste d’autres places libres dans le bus. S’en vouloir de penser si fort qu’on ne veut pas de lui à côté de soi et se dire qu’il est peut-être très sympathique. Râler contre ces petites pensées d’ostracisme ordinaire qui nous pourrissent la cervelle.
Le voir avancer.
Plus que trois rangées, deux, une, « Bonjour, ah, 29, c’est ma place, c’est à vous le sac ? » Rêver de lui répondre non, rêver de lui répondre que le siège est déjà occupé. Ôter son sac à main pour libérer le siège.
Se ratatiner contre la fenêtre en se demandant pourquoi le seul obèse-vraiment-très-obèse du bus devait avoir réservé justement ce siège-là. Sentir son espace vital diminuer, réprimer un soupir en envisageant les quatre heures à passer tassée contre la vitre. Regretter, finalement, de n’avoir pas réservé la place côté couloir.
Se dire qu’on va attendre le départ du véhicule et trouver un prétexte pour changer de place. Voir les derniers sièges libres se remplir à mesure que l’heure du départ approche.
Constater que le véhicule est plein lorsqu’il se met en mouvement.

Ouvrir des yeux horrifiés.
Voir son voisin obèse sortir un paquet de chips de son sac et l’entamer.
Se demander comment on peut ingurgiter cela pour son petit-déjeuner à 6 h du matin…
Sentir son estomac regimber à l’odeur qui envahit l’espace. Réprimer un haut-le-cœur et s’estimer heureuse dans son malheur d’être assise à proximité des toilettes. Au cas où.

Bénir les progrès technologiques qui permettent de s’extraire du vacarme de la mastication grâce au casque de son baladeur numérique. Fermer les yeux, penser à autre chose, tenter d’oublier l’odeur des chips « goût bacon ».
Entendre, malgré les écouteurs, la première déflagration. Rouvrir les yeux interloquée. Ce n’est pas vrai. Ça ne peut pas être vrai.
Sentir l’odeur. L’autre odeur. Le bruit puis l’odeur.
C’est donc vrai.

Se faire une raison : il va falloir effectuer les quatre heures du trajet Bruxelles-Paris en bus assise à côté d’un obèse pétomane bouffeur de chips.
Percevoir, du coin de l’œil, le regard affolé de la voisine assise devant l’énergumène. Se dire que pour elle aussi le voyage sera long. Lui rendre un regard qui signifie à la fois « Hélas », « Pourquoi tant de haine » et « Ça fout les boules ». Sentir la catastrophe arriver en percevant ses paupière se plisser alors qu’une deuxième rafale accompagne notre échange de regards.
Voir ses épaules se mettre à trembler. 
Regarder ailleurs, respirer profondément, mais savoir que rien ne pourra lutter contre cette hilarité désespérée qui monte, qui monte, et qui engloutit tout. 
Regarder autour de soi, à gauche, à droite. Entendre que le rire se propage, devant, derrière, toute une zone du véhicule gagnée par un fou rire irrépressible, un fou rire qui tente de lutter contre l’odeur d’œuf pourri qui a envahi le bus.

Ne plus oser regarder son voisin de droite, qui continue à manger ses chips en pétant avec régularité toutes les trois ou quatre bouchées. Tenter de trouver en soi assez de compassion pour cet homme qui doit certainement souffrir de son état. Faire appel à cette compassion pour éteindre son hilarité.
Sentir malgré tout les larmes de rire couler le long de ses joues. S’en vouloir de tant de méchanceté.
Passer le reste du voyage tassée contre la fenêtre une écharpe autour du nez à observer le paysage.

N’avoir jamais été aussi contente d’arriver à Paris. 


Le bonheur d'enfin arriver à Paris !

4 commentaires:

  1. le bruit puis l'odeur...
    J'adore
    Valérie

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Valérie :-)
      N'hésite pas à transmettre le lien de ces chroniques si tu connais d'autres lecteurs intéressés par ces petites (et grandes !) aventures du quotidien !!!!

      Supprimer
    2. tu parle de quel voyage. lol

      Supprimer
    3. Certainement pas l'un que l'on a fait ensemble ;-)

      Supprimer